20111014

Catalogne, Corse, Cymru, Écosse, Euskadi, Flandres, …

Si vous regardez dans d'autres états en Europe, que ça soit en Ecosse, en Catalogne ou en Flandres, elle a le vent en poupe. Et Bildu a le vent en poupe. Il n'y a pas de politique qui s'échappe de la réalité. Aujourd'hui on est dans la question de ...

JdPB
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"L’idée d’indépendance n’a jamais été aussi moderne"

14/10/2011 - Goizeder TABERNA - www.lejpb.com

Entretien avec Jean-Pierre MASSIAS / Professeur de Droit


Le processus de résolution du conflit basque semble avoir pris un tournant ces dernières semaines. Professeur de Droit à l’université de Clermont-Ferrand et à l’UFR de Bayonne, spécialiste des processus d’autodétermination des pays d’Europe centrale, Jean-Pierre Massias publiera dans les semaines à venir un livre, Faire la paix au Pays Basque. Dans ces colonnes, il présente sont analyse sur le processus, à la veille de la Conférence internationale prévu lundi à Donostia.


Quelle est la portée de la conférence internationale pour la Résolution du Conflit au Pays Basque organisée lundi prochain à Donostia ?
C’est difficile à apprécier. C’est un élément supplémentaire dans la construction du caractère inéluctable du processus. Un processus qui s’appuie sur une base très importante. Mon analyse ne consiste pas à isoler tel ou tel événement, même si une conférence internationale, c’est très important et très symbolique. Mais il est important de noter qu’on a un certain nombre de signaux convergeants qui montrent que le processus est en train d’évoluer, très clairement, vers un enracinement social de la fin de la violence. En tout cas, l’enracinement social de la nouvelle stratégie, de l’Accord de Gernika.
Il s’agit d’un schéma inversé par rapport au schéma du processus précédent. En 2006, ETA annonce la trêve ; elle vient du haut. Dans le cas présent, il y a une construction sociale… les presos, Ekin, l’Accord de Gernika, Zutik Euskal Herria. On a l’impression que l’ETA accompagne, sans être particulièrement moteur.
La conférence de lundi est très importante parce qu’elle fait intervenir des acteurs qui ne sont pas basques et évidemment la reconnaissance internationale du processus est un facteur très important. Après, elle a des limites : ni la France ni l’Espagne ni le gouvernement basque n’y seront représentés. Et dans ce genre de processus, c’est toujours celui qui rengaine le premier qui gagne.

Gagner ou perdre cette bataille, est-ce là la question ?
Il faut savoir ce qu’on met derrière la question du processus de résolution du conflit. Si c’est la fin de la violence, c’est évidemment très important, mais cela ne va pas régler la question basque. La violence est devenue très importante, mais elle n’est à l’origine qu’un instrument en soutien d’une revendication qui n’a pas disparu. Cette revendication va s’exprimer de manière différente. Parfois je me demande s’il ne faut pas parler processus de transformation du conflit.
Il y a un élément qui est extrêmement capital, ce sont les élections municipales (de mai 2011). Le succès de Bildu me paraît le témoignage d’une accélération sociale. Aujourd’hui, on a une situation assez paradoxale : la lutte armée n’a pas que des soutiens y compris dans le gauche abertzale, ce qui me paraît être un euphémisme, et les revendications souverainistes autour de la gauche abertzale n’ont jamais eu autant de soutien populaire.
La lutte armée fait partie d’une logique ancienne, mais la revendication d’indépendance n’a jamais été aussi moderne. Si vous regardez dans d’autres états en Europe, que ça soit en Ecosse, en Catalogne ou en Flandres, elle a le vent en poupe. Et Bildu a le vent en poupe. Il n’y a pas de politique qui s’échappe de la réalité. Aujourd’hui on est dans la question de l’avenir du territoire basque. Il me semble que les dirigeants de la gauche abertzale ont bien pris le tournant. Ceux qui me paraissent ne pas avoir compris cela, c’est les Espagnols.

Pensez-vous que des personnalités internationales de haut rang se déplaceraient sans que le processus n’ait dépassé son caractère unilatéral ?
Je pense que le fait que le Lehendakari socialiste qui s’appuie sur une majorité soutenue par le PP vienne parler du rapprochement des preso est un signe. De même que la série d’articles parue dans El Pais sur les rencontres entre les preso et les familles de victimes. Si on regarde il y a deux ou trois ans, ces articles-là seraient invraisemblables. Même si la politique ne se fait avec les sentiments, là on touche les sentiments.
On voit que dans le conflit basque la difficulté est l’extraordinaire intensité des tensions humaines. C’est un conflit du point de vue militaire de faible intensité, mais de forte intensité quant à l’enfermement psychologique des uns et des autres.
J’espère que l’implication de ces acteurs internationaux de haut niveau est le signe que les choses se détendent du côté socialiste. Je me demande même si du côté du parti populaire il n’y a pas une once d’espoir. Toute la classe politique espagnole a intérêt à mettre fin à ce conflit.
Précisément, pour revenir à la deuxième question, Jonathan Powell (organisateur de la conférence) disait que tous les acteurs assis autour d’une table de négociation devaient la quitter en ayant l’impression d’avoir gagné…
Les Espagnols ont un intérêt politique à court terme, c’est de se débarrasser du souvenir du franquisme. La lutte armée et la répression sont nées sous le franquisme. L’Espagne a intérêt à ce qu’il n’y ait plus de problème avec les preso, avec la torture, de problème de répression, plus de garde du corps…
Maintenant, la violence peut disparaître, mais la question de l’indépendance risque de se poser encore plus. Toutes les négociations de Loiola peuvent servir de base. Mais pour cela, l’Espagne devrait réfléchir au moins à libérer Arnaldo Otegi. Dans toute cette construction positive, l’élément contradictoire est la condamnation d’Arnaldo Otegi et de Rafa Diez. Avec Otegi les Espagnols ont un interlocuteur capable de discuter.
Le quid est celle des élections législatives. Est-ce qu’on peut interdire Amaiur ? Je crois que là, on est au stade suprême des contradictions de la politique anti-terroriste espagnole. [Cette dernière] commence à subir des contradictions qui tirent la sonnette d’alarme.
Si à l’issue des élections le Parti Populaire veut interdire Bildu, politiquement, c’est une énorme erreur. Le contexte de la loi des Partis, c’est la mort de Miguel Angel Blanco, l’échec de Lizarra-Garazi, on est dans une période, en 2002, de violence. Aujourd’hui c’est plus compliqué. A force de faire un pays réel et un pays légal, on prend des risques.

On dit que les périodes électorales sont défavorables au processus. Cette fois, la période pré-électorale n’y a-t-elle pas été au contraire favorable ?
La concomitance de deux élections l’a été. Au-delà des discours officiels, personne ne peut faire semblant de ne pas mesurer l’impact de la victoire de Bildu. Personne ne pensait que la gauche abertzale pouvait être capable de mobiliser 25 % du corps électoral et plus de 30 en Gipuzkoa. En même temps le processus s’accélère. Non seulement la paix s’accélère, mais la répression se maintient. Oui, le climat est favorable à ça.

Lasserre e la patzCe processus pourrait-il aboutir à un échec ?
Je peux paraître complètement optimiste, mais je ne vois pas comment ça pourrait être un échec. Le seul échec serait une bombe.

Cela paraît peu envisageable… Pourrait-il y avoir un échec politique ?
A partir du moment où vous passez à un processus non violent qui repose sur une certaine réalité électorale… tant que Bildu aura des scores importants… comment voulez-vous ? Avec la transformation du conflit, les Espagnols ne contrôlent plus rien.
Qu’est-ce qui va se passer si l’Ecosse devient indépendante ? Le premier état à la reconnaître sera la Grande Bretagne. Pas par amour, mais par pragmatisme.

Insinuez-vous que le processus basque pourrait mener à l’indépendance ?
Attendez… La prochaine étape sera la relation entre Bildu et le PNV. De ce point de vue-là, les Espagnols avaient donné une leçon avec l’union entre le PSE et le PP. Il faudra bien, un jour, que les Basques présentent, sinon un front commun, en tout cas une possibilité de travailler ensemble. Même si on interdit Bildu… On a bien vu que les interdictions se retournaient contre eux : Batasuna est apparue plus forte après l’interdiction. En plus, on ne mesure pas l’impact de la trêve. La fin de la violence peut avoir un impact très positif sur la répartition des votes.

Avec des centaines de prisonniers, sa stratégie répressive, il est évident que l’Etat français a un rôle à jouer dans le domaine technique du processus. Et dans le domaine politique ?
Son rôle restera, pour l’instant, assez limité. Je pense que l’Etat français observe et s’aligne sur l’Espagne. Il ne s’est jamais mêlé officiellement à l’aspect politique du conflit ; il s’en est mêlé effectivement du point de vue technique. Si la paix se fait du côté sud et qu’il y a des mouvements de rapprochement de preso, je ne vois pas la France s’y opposer. Après, la question de l’implication politique de la France est complexe. ça supposerait qu’on intègre dans la réflexion politique les territoires du nord qui sont dans une situation politique assez complexe. ça va cependant dépendre de 2012, du rapport de force ici et de l’Espagne.
On pourrait aussi poser la question de la participation du mouvement abertzale du nord à ce processus. Je ne veux pas dire qu’il doit rentrer dans le processus. Je veux dire : quelles conséquences tirent-ils de ce processus concernant son organisation, sa stratégie et son fonctionnement. Ce processus renvoie tout le monde devant ses responsabilités. On a affaire à un processus de transformation. La transformation ne s’arrête pas au Sud et ne s’arrête pas à l’Espagne. S’il y a une demande sociale clairement exprimée d’un statut spécifique… il y aurait une possibilité. Mais il y a un certain nombre de choses à régler avant. C’est une question de capacité du mouvement abertzale à soutenir une demande sociale clairement exprimée.

JdPB

Patz en Euskadi Catherine Grèze